Décès de Baba Doudou
Ce document est un extrait d'archives du fameux journal "LA VOIX DES COMMUNAUTES" (Organe Mensuel du Conseil des Communautés Israélites du Maroc).
Il s'agit du N°29 correspondant au mois d'Avril 1953, qui relate le décès du Tsaddik Rabbi David Ben Barroukh Cohen Azogh (z"tl) nommé "Baba Doudou".
TAROUDANNT
Les Juifs de la Ville de Taroudannt sont en deuil.
La population Israelite de Taroudant vient d’être cruellement éprouvée par la mort inattendue de l’illustre Rabbin, Rabbi David Cohen Ben Barukh Azogh, survenue le Mercredi 11 Mars à minuit, à la suite d’une crise cardiaque.
Assistaient aux obsèques, aux côtés de la famille du défunt, de nombreuses personnes venues des environs, principalement d’Agadir, de Marrakech, de Mogador et les hauts représentants de l’autorité locale à Taroudant.
C’est ainsi qu’on notait la présence de Son Excellence le pacha Jamai et de son Khalifa Si El Hadj Larbi Ben Houmad, de M. le Capitaine Catando, représentant M. Le Capitaine Aubert, chef du bureau du Cercle, du Mohtasseb Si M’Bark ben Brahim, du cheikh Si Ahmed ben Hadj Lamine, menbre de la chambre mixte d’Agadir, de Si Abdelebir Ben Moussa el Houari, entrepreneur et transporteur à Taroudant.
A la synagogue, où on avait introduit le cercueil, le rabbin Mardochée Ifergan fit l’éloge funèbre du défunt en hébreu.
A son tour Mr Lévy Lévy, directeur de l’Ecole Israélite mixte de Taroudant, rendit un suprême hommage à la mémoire de l’illustre disparu, en langue française, dans une allocution émouvante, dont on voudra trouver ci-dessous le texte intégral.
Les autorités locales présentèrent ensuite leur condoléances aux membres de la famille.
Le cortège se rendit ensuite au cimetière où eut lieu, en présence d’une foule dense et recueillie, l’inhumation du grand rabbin, dont la perte sera cruellement ressentie par le judaïsme marocain tout entier.
Nous prions son cher fils, sa chère fille et tous les siens proches ou éloignés, qu’un tel deuil afflige, de bien vouloir agréer, en cette pénible circonstance, l’expression de notre profonde et douloureuse sympathie.
SERRAF Messod, président
et COHEN Maklouf, vice-président
du Comité de la communauté israélite de Taroudant.
Mes chers coreligionnaires,
C’est aujourd’hui pour moi, un insigne d’honneur et un rare privilège de prendre la parole, au nom de le l’Ecole Israélite, du Comité de la Communauté et de tous nos coreligionnaires de Taroudant pour dire un dernier adieu au grand Rabbi David Cohen Azogh, surnommé affectueusement par nous tous, Baba Dodo.
Je connais Baba Dodo depuis bientôt trois ans. Je viens d’être nommé à l’école de Taroudant et une de mes premières visites fut pour notre cher disparu.
Je dois dire que la première fois que je vis Rabbi David Cohen, je fus d’abord conquis, séduit par sa beauté physique. Je pense tout particulièrement en ce moment, à ses grands yeux bleus qui disaient toute la noblesse de son âme, la haute élévation de ses sentiments. Je n’oublierai jamais ce regard assuré, profond et pénétrant qui avait quelque chose de divin et d’aérien à la fois.
Baba Dodo était sans contexte, un chef d’œuvre de beauté.
Je n’ai pas attendu de venir à Taroudant pour connaître Baba Dodo, au moins de réputation car, qui ignore ce noble descendant d’Aaron Hacohen et d’une généalogie devenue objet de culte dans le Maroc tout entier, tant dans la population israélite que musulmane ?
Dois je rappeler que dans les quelques entretiens que nous avons eu par la suite, Baba Dodo ne manquait jamais de me parler avec humour et finesse, tantôt des difficultés qu’ont connu mes prédécesseurs dont il fut l’ami fidèle, tantôt de l’œuvre grandiose accomplie par la France au Maroc ou enfin de l’admiration qu’il portait à l’Islam qui, selon lui, a fait connaître Dieu à des millions d’êtres humains, affirmant par là, malgré sa foi juive profonde, qu’il était esprit libéral, homme de progrès, autant être « moderne », sans haine comme sans fanatisme.
Nos entretiens me permirent d’apprécier encore et surtout sa modestie, son humilité, son loyalisme. Baba Dodo était la vertu même, car il était un sain, un « tsadiq », comme on dit en hébreu, dans toute l’acceptation du mot.
Et quelles n’étaient ma joie et ma fierté, lorsque j’apprenais qu’il m’estimait particulièrement. J’avoue que là est mon plus beau titre de gloire.
Certes il était fatigué. Des deuils cruels le frappèrent dans son affection. Il fut en effet affligé par la mort de Baba Laziz, fils du Rabbin Rebbi Pinhas et plus tard par celle même du vénéré rabbin lui-même qu’il chérissait comme un frère.
Son état devint alors sérieux. Tout dernièrement, à la stupéfaction générale, nous apprîmes qu’il était gravement malade. Mais personne ne pouvait songer à l’issue fatale , tant nous avions foi en Dieu, en la médecine si dignement exercée par les docteurs Clier et Farrier dont nous savons tous à présent toute la compétence et tout le dévouement.
Le Dr Farrier n’est-il pas resté à son chevet trois heures durant, l’aidant à lutter contre la mort dont il paraissait avoir triomphé, du moins pour un temps ?
Or voilà qu’à minuit, l’affreuse, l’incroyable nouvelle de la mort du grand rabbin se répandit au Mellah comme un éclair.
Le Mellah était en révolution, le temps lui-même était triste ; il pleuvait, la nuit était noire. Un moment, on évoqua la nouvelle du décès du vénéré Rebbi Pinhas qui, dès qu’elle fut connue, provoqua dans notre mellah les mêmes réactions de désespoir et d’affliction.
Les enfants, les femmes, les vieillards, les infirmes, tout le monde pleurait à fendre l’âme et cela ajoutait à la particulière tristesse du Mellah qui voyait s’écrouler son dernier « pilier ».
Cher Baba Dodo, dormez, comme vos ancêtres, du sommeil du juste et du sage, car en ami du genre humain, le ciel, à coup sûr, vous appartient.
Dans cette synagogue, lieu de culte de vos glorieux ancêtres, toute une population recueillie vous promet de ne jamais oublier votre cher et doux souvenir.
Priez, priez, priez pour nous, pour l’humanité entière menacée par la guerre et la ruine. Que la paix et la fraternité règnent à la surface de la terre.
Cher Baba Dodo, puisse l’affectueuse sympathie qui vous est témoignée aujourd’hui de toutes parts, donner courage à tous les vôtres qui vous pleurent si amèrement et en particulier à MM. Et Mmes Cohen, votre fille, votre belle-fille, votre fils et votre gendre que vous aimiez comme votre fils.
Que la volonté de Dieu soit faite. Amen.
L LEVY
Directeur de l’école Israélite mixte de Taroudant.
Rabbi David Ben Barroukh Cohen Azogh (z"tl) nommé "Baba Doudou"
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