Récit d'Une Hilloula
Nous comptons au Maroc de nombreux saints Juifs Marocains, aussi importants les uns que les autres, ils sont la preuve de notre présence depuis plus de 2000 ans au Pays de la tolérance, le Maroc.
Du nord au sud, de l’Est à l’Ouest, nous en comptons plus de 650, disséminés à travers les différentes régions du pays, autant au sein des régions à forte présence de Juifs Marocains, que dans les régions les plus isolées du pays. Mais à chaque lieu de sépulture, un respect de la population locale, des autorités est présent. Avec le fil du temps et au fur et à mesure du départ des Juifs du Maroc, un instinct de préservation et d’entretien des lieux saints est né. Cet entreprise est due également à un fort besoin et demande des Juifs encore présents au Maroc, mais également et surtout à la demande grandissante des communautés Juives à l’extérieur du pays, nous mentionnerons, Israel, France, canada, et de nombreux autres foyers de juifs marocains.
De plus en plus , de nombreux groupes de pèlerins convergent vers ces lieux aux périodes des Hilouloths, autant des groupes organisés, que des individuels, que de familles avec femmes, enfants et adultes, qui émettent le souhait d’être présent aux dates d’anniversaires de décès de ces saints.
Très vite, la logistique de réception sur place, s’est vu dépassée et il a fallu prendre des dispositions pour rénover, agrandir, organiser, nourrir, fournir en eau courante, hygiène, lieux de prières, chambres avec le confort nécessaire. Qui ne se rappelle pas l’état des lieux il y a de cela juste 20 ans auparavant, dans des saints comme Rabbi David Ou Moshe, où il fallait faire plus de 3 heures de trajet à dos d’âne pour arriver à destination et qu’il n’ y avait que de petites cases en terres cuites, la hilloula se passait dans la petite synagogue et ensuite sous une tente caïdale au gré des vents et des intempéries, bien sûr la magie était toujours présente et peut être même plus forte encore, mais ce fut un temps où les gens malgré tout ne se déplaçaient pas en masse, manque de moyens de transports et de moyens tout court.
Aujourd’hui les choses sont différentes, des familles entières, de 5 à 6 personnes se déplacent du bout du monde pour converger vers ces lieux saints et il faut les loger et leur fournir un lieu de villégiature, certes temporaire, mais avec un confort minimum.
La population de pèlerins a elle aussi évolué, beaucoup de personnes de toutes couches sociales, de différence d’âge, cela n’est plus seulement réservé aux personnes originaires du Tafilalet (Rabbi Isaac Abehserra ztl), de Taroudant dans le Souss (Rabbi David Ben Barroukh ztl), du nord à Ouezzane (Rabbi Amrane Ben Diouane ztl) à se rendre dans leurs lieux saints de leur région. La valeur et la reconnaissance de ces saints a dépassé les frontières et y ont même adhérés des Juifs Ashkénazes qui viennent pèleriner et rendre hommage à la sainteté de nos ancêtres et guides du Judaïsme Marocain.
Au lendemain du 3 Tevet cette année, un 19 Décembre de l’année 2009, nous rendions hommage au grand et vénéré Saint, Rabbi David Ben Barroukh Cohen Azogh (ztl), dans la wilaya de Taroudant, plus exactement à proximité de Ouled Berhil, dans la région du Souss.Il s’est éteint aux alentours des années 1785 au 18ème siècle et il fut de la troisième génération d’une illustre famille qui a marqué de par sa sainteté et sa sagesse, sa présence dans la région, pour aujourd’hui dépasser les frontières du Maroc.
Comme nous le précisions, sa hiloula de par sa situation géographique assez éloignée des foyers de résidence de Juifs Marocains et par le peu de moyens à leur disposition en ces temps, était célébrée par 200 à 300 personnes. En cette fin d’année 2009, plus de 1200 personnes se sont amassées, malgré la météo peu clémente, sous une pluie battante et continue, qui n’a rien enlevé de la magie du moment, pour célébrer la Hilloula du saint vénéré.
L’organisation de la Hilloula se tient comme à l’accoutumée sous la direction d’un comité organisateur issu des autorités communautaire Juives ou comme pour ce Saint, de la famille descendante du Saint, la famille Cohen Azogh, aujourd’hui établie entre Casablanca et Paris.
Le comité, composé d’un cercle d’amis et d’inconditionnels est organisé comme une montre suisse, la logistique parfaite à chaque fois, évolue au fil des ans , avec une amélioration constante du site, aussi bien dans l’enceinte du saint, mais également aux alentours, on entend par cela, la piste nouvellement créée, qui achemine au site, par exemple, naguère de plusieurs centaines de mètres et qui en paraissent faire facilement le double, combien elle était difficile, n’est aujourd’hui qu’un vieux souvenir, le bitume a remplacé la caillasse , la boue, la poussière, pour le plus grand plaisir des pélerins, mais aussi des autochtones de la région qui se retrouvent désenclavés de la route principale et donc de l’amélioration de condition de vie, mais aussi au niveau commercial, pour l’écoulement de leurs denrées produites et mises sur le marché des lieux voisins.
Plus récemment, ces derniers ont pu également apprécié l’évolution du lieu saint par l’apport, combien nécessaire dans ces contrées, de l’électricité jusqu’à leur porte. Cela a d’ailleurs marqué la région par l’ajout de sites industriels et agro-alimentaires, source de travail et de revenu pour les jeunes de la région entière.
Cependant, depuis fort longtemps, à plus petite échelle, à la période des Hiloulots, un petit marché local se crée aux portes du saint, et offre aussi bien des denrées particulières de la région comme l’Huile d’Argan, les citrons doux nommés Trabensi, que du Safran, spécifiques et particuliers dans la région, mais également fruits, légumes et besoins nécessaires aux achats de dernière minute des pèlerins.
Le souk est également une opportunité pour les éleveurs de la région, car ces derniers peuvent vendre un bon nombre de pièces de bétail nécessaire à l’abattage rituel aux temps des Hiloulots, bon nombre de visiteurs viennent faire l’achat de petits bovins, ovins et volailles sachant que la logistique s’installe à cette période et qu’un Chohet (un spécialiste de l’abattage casher) est disponible en tout temps, pendant le séjour, mais aussi un boucher qui vend au détail toutes les viandes rouges ou blanches pour le besoin des nombreuses familles.
Il faut signaler également le dispositif de sécurité mis en place par les autorités locales. Le service de gendarmerie de la régionde Taroudant (comme toutes les régions du Maroc en pareilles occasions) est mobilisé pour toute la période du pèlerinage, depuis la route principale qui mène de Taroudant à Ouled Berhil, pas moins de 2 barrages sont mis en place, une fois arrivé au croisement qui mène au saint, un arrêt obligatoire est marqué pour tous ceux qui bifurquent vers la localité du saint. Noms, prénoms, ville d’origine, nombre de personnes, immatriculation des véhicules sont pris en note par les gendarmes en place. Une fois passé le village de Igoudar, un autre barrage confirme la saisie de renseignements faite plus tôt. Une fois patte blanche montrée, nous nous dirigeons vers la destination finale, le site du saint de Rabbi David Ben Barroukh Cohen Azogh(ztl). Ce dernier également est bien marqué par la présence de nombreux gendarmes qui gravitent autour du site et ce à tour de rôle, avec leur campement de séjour, de nombreux véhicules, la protection civile et un camion anti-incendie est présent, de quoi nous faire sentir bien entouré.
Nous en remercions d’ailleurs les autorités locales, mais également celles du Maroc entier pour ce système de sécurité identique, installé à tous les lieux de pèlerinage à travers le Pays.
L’enceinte du saint a été formé à la manière d’une ville impériale Marocaine, avec des enceintes hautes, en terre d’argile et qui entourent tout le site du saint, nous nous retrouvons en entrant, aux proximités du souk et ses marchands, suivi d’un parking à la disponibilité des automobilistes mais aussi des nombreux cars de pèlerins, à majorité en provenance d’Israël.
On se retrouve ensuite devant une majestueuse porte traditionnel Marocaine qui marque l’entrée officielle du site de villégiature.
Une fois passée cette porte, la magique ambiance du saint débute avec la circulation dense de la population venue en visite, qui y fourmille dans tous les sens et qui s’affaire, soit à s’installer, soit à la cérémonie des retrouvailles, des embrassades, des discussions enflammées, le ballet des enfants qui jouent sur la place centrale, située en face de la série de chambres des hôtes de cérémonie, la famille Cohen Azogh. Le personnel local court dans tous les sens à transporter, bagages, couvertures, valises, caisses d’eau, de vins, victuailles. Déjà l’odeur de Tanourt (le pain traditionnel berbère de la région), un véritable must à cette période, se diffuse et vous fait saliver le palais.
Le bureau central de réception attribue à chacun ses chambres, les voitures n’étant pas permises dans l’enceinte du saint, ces dernières font un ballet d’aller retour entre le parking et l’allée centrale pour faciliter le déballage des nombreux bagages de chacun et tout le monde. Tout autour de la place principale, au milieu de laquelle trône une belle fontaine, une multitude de chambres, toutes équipées de salles de bain, plan de travail nécessaire aux cuisinières, eau chaude, douche, toilette, je précise, car cela change d’antan, où il était inimaginable d’avoir toutes ces commodités, sont le résultat des rénovations de ces dernières années. Tous les murs sont peints de blanc, uniforme, propre, une couleur de repos, les portes et fenêtres de couleur verte font un joli assemblage. Le sol a été bitumé pour permettre le lavage et ainsi offrir une propreté indiscutable.
Juste un petit saut en arrière qui nous rappellera la vétusté des chambres qui à peine, se fermaient avec des portes traditionnelles typiques des régions du Souss, un sol à même la terre poudreuse, il fallait prévoir des tapis pour y rester, l’eau était disponible, mais à l’extérieur des chambres et il fallait la chercher dans les robinets en commun, qui faisaient office de cuisine, salle de bain, nettoyage des viandes, légumes, cela devenait un des endroits où tout le monde se croisait. Le toit des chambres était en chaumière et terre cuite soutenue par des barres transversales de troncs d’arbres comme l’étaient les maisons des douars environnants. Bref, une réelle transformation s’est faite depuis. Aujourd’hui, tout est mis à la disposition des visiteurs pour leur confort, les matelas sont fournis, tables, électricité, eau courante, douche, etc… Au rez de chaussée s’est ajoutée un étage de chambres du même standing, de nouvelles ailes se sont crées de part et d’autres du site, une synagogue majestueuse a remplacé l’ancienne devenue trop étroite, vu le nombre grandissant de pélerins au fil des ans, les plus vielles ailes de chambres ont subi les mêmes rénovations, mais il y parait tout de même toujours l’ancien cachet, elles restent toujours petites et très proches l’une de l’autre donnant cette proximité familière des hilouloths. Une aire de restauration commune a été construite et qui offre aux visiteurs n’ayant pas prévu la logistique, la possibilité de pouvoir se procurer sandwichs, façon « Chouway », kefta, saucisses, rates, etc…… une bonne bière fraîche et un accompagnement de succulentes frites.
L’aire d’abattage qui se situe à l’extrémité du saint est dotée de toute l’hygiène nécessaire aux rituels, dans le plus strict casher et pour la demande nombreuse. De nombreuses accommodations sont également disponibles, telles, une épicerie fournie par le comité du saint, une intendance très fournie qui offre aux derniers arrivés des matelas et sommiers de secours, des kanouns et du charbon à volonté, enfin tous les petits rien du tout qui peuvent sauver le petit séjour à la hiloula
Enfin, la partie incoutournable et le lieu de toutes les visites et de toutes les prières, les tombeaux du saint Rabbi David Ben Barroukh Cohen Azogh (ztl) et de son vénéré fils Rabbi Benyamine Cohen Azogh (ztl) (on peut trouver l’arbre généalogique complet de la sainte famille sur ce lien), complètement rénové, habillé d’un dôme couvrant les deux tombes, le sol habillé complètement de marbre, une grille de fer forgé travaillé entoure le carré dont l’accès est ouvert par deux portes, des plaques de marbre mémoriales sont accrochées et dédiées aux saints enterrés, les tombes sont d’une sobriété resplendissante et pour la période de la hiloula, recouvertes de magnifique étoffes de velours bleu nuit, brodée aux écritures de la tombe, les habillant ainsi de leur plus bel apparat. Le mausolée est ainsi entouré d’une multitude de tombes peintes régulièrement à la chaux blanche donnant ainsi une ambiance de calme et de propreté à toutes ces sépultures accompagnatrices du saint au fil des générations et pour la plupart non identifiées, qui étaient dans le temps que de simples amas de terres signifiant leur présence, elles furent rénovées et rhabillées ainsi que l’ensemble des rénovations du saint, sous l’entreprise de Rabbi Barroukh Ben David Cohen Azogh (z"tl) (Baba Laaziz), père des frères Cohen, qui eux, poursuivent aujourd’hui de mains de maître, le travail gigantesque entrepris par leur père.
Juste en face de ce cimetière plusieurs fois centenaires, a été érigé un mur de briques jaunes. Ce mur rajoute à la place une solennité qui vous prend au ventre une fois dans cette enceinte pleine de sainteté et de recueil.
Un flux incessant de pélerins se dirigent vers le tombeau du saint, hommes, femmes, enfants alimentent constamment la cheminée de briques rouges construite à cet effet, et qui souffle le feu par tous ses orifices, offrant un spectacle inespéré pour tous les enfants qui de leur innocence se rapprochant trop près à attiser le foyer en bougies, mais ils sont vite rappelés à l’ordre par la chaleur impressionnante que dégage la cheminée.
Une odeur de bougies brûlées et un torrent de cire brûlante dégoulinant, sont permanents pendant les 3 jours de hiloula.
Dès les premières arrivées, une permanence se crée naturellement autour de la tombe du saint, à réciter, lire des téhilim, les plus belles voix se donnent à cœur joie à chanter les plus beaux Piyutims, aidés par des rasades d’alcool de tous genres et soutenus par les pèlerins présents qui reprennent les refrains à tue tête.
Quelques Séoudoths en l’honneur du Tsadik sont amenées à même la tombe et sont composées soit de douceurs, dattes, amandes, figues séchées, raisins secs, que de pâtisseries en tous genres et quelque fois de succulents couscous sont servis. Cela créée une ambiance à toute heure et tout moment de la journée autour de la tombe du Tsaddik, créant au fur et à mesure des arrivées, de véritables embouteillages.
La Hiloula a pris sa vitesse de croisière.
Contrairement à certaines organisations, au sein de la Hiloula de Rabbi David Ben Barroukh Cohen Azogh (ztl), la tradition l’a emporté sur la mode actuelle, en matière de restauration, le service de traiteur n’est pas fournie aux pèlerins, chacun se doit de s’arranger et s’organiser dans ce sens. Nous ne discuterons ni ne commenterons ce choix, cependant le résultat est magique et cela reste dans la tradition qui a toujours été depuis mémoire d’homme.
La fête ne s’arrête jamais 3 jours durant, les chambres prennent le relais et l’activité s’y déroule de bon train, les cuisinières préparent repas et dîners pour les jours à venir, il a fallu tout prévoir, chaque repas sera une fête, chaque dîner un festin. Les maîtresses de maison ont tout coordonné, elles ont amené avec elles les « Khedamates » (femmes de ménages), ou les engagent sur place au sein de la population voisine des douars et qui sont habituées aux traditions de la hiloula et aguerries aux longues préparations minutieuses.
Inutile de vous mentionner toutes les recettes exquises de la cuisine juive marocaine, en passant par les grillades qui odorent et embaument les alentours du Saint, les petits plats qui mijotent sur charbon de bois, rien ne manque, tout est au rendez-vous ; le poisson de l’oued, la corbine, les fritures de petits merlan, l’agneau aux oignons, les pattes de veaux aux pois chiches, les viandes de veaux accompagnées de pruneaux et figues séchées,etc.… tout le must est là et les odeurs s’entremêlent, à raison de 4 ou 5 kanouns par chambrée, les apéritifs interminables auxquels vous êtes conviés accompagnés de flots de mahia aux figues, aux cerises, préparées et cachées pour la période de la hilloula et que l’on veut faire goûter à tous ses invités. Qui le veut est invité, connaissant l’hospitalité Marocaine, celle-ci est confirmée et d’autant plus grande à ces moments là, du fait de la joie de tous et de l’abondance disponible.
Mis à part les touristes de passage, la majorité des pèlerins se connaissent et sont des habitués, les familles venant des villes marocaines font venir leurs enfants de Paris, Montréal, New York, ces derniers amènent leurs copains, fiancé(e)s , amis. Le cousin qui n’a pas mis les pieds au Maroc depuis plus de 30 ans reviendra pour la Hiloula et sera lui aussi enrôlé dans le charme de la fête. Chaque chambre rivalise aux autres par le nombre d’invités, par la qualité du Paytan qui déploie sa voix sous les applaudissements de l’assistance, les chants les plus entraînants font danser les mamans et grands mamans si sérieuses d’habitude, et attirent même les enfants habitués à courir dans tous les sens avec leurs copains.
Chaque repas, chaque dîner, chaque nuit dure plus qu’à l’accoutumée, il n’y a plus de contrainte de temps, plus de respect du silence, on fait place à la fête, à la joie, à la magie, on passe au 4ème plat, on ne compte plus les verres de mahia et de wisky à la santé de l’absent, du présent, de la femme enceinte, du petit dernier absent, etc…. mais bien évidemment, surtout en l’honneur du Tsadik.
La Hiloula en tant que telle, se définit comme la soirée célébrant l’anniversaire du décès du Tsadik, cela peut sembler contradictoire au fait de célébrer la mort, mais la Hiloula est associée à des manifestations spontanées de joie, alors que dans les rites du deuil, toute manifestation de joie est interdite. Les rituels exacts diffèrent en fonction du Tsadik commémoré ainsi que des minhagim de la communauté.
Au Maroc et pour l’ensemble des sépharades, la joie et la fête sont de rigueur, ce qui est le cas à Rabbi David Ben Barroukh Cohen Azogh (ztl). La soirée se prépare pour la première étape de la célébration, la réunion de toute la population dans la magnifique synagogue de plus de 400 m² . Petits et grands se parent de leurs plus beaux habits, l’enceinte du village du saint se vide un moment, chacun retourne à sa chambre pour un petit somme, en vue de la longue veillée de la nuit à venir, d’autres s’occuperont des enfants à baigner et à habiller, certains commencent déjà l’apéritif interminable de la soirée.
Les soirées à la période de la Hiloula sont toujours très fraîches (mois de décembre) et la température la nuit, dans la région est particulièrement froide, pouvant atteindre jusqu’à 0°C, cependant la journée, le soleil très généreux promet de bons bains de soleil douillets.
La soirée fraîche comme à l’accoutumée, amènent les pèlerins emmitouflés dans leur grosse Djellaba de laine à la synagogue, illuminée de toutes ses lumières, des lustres et des chandeliers grandioses habillent murs et plafonds, un rideau de velours aux broderies somptueuses recouvre majestueusement le « Hekhal », de belles chaises de velours servent d’assise aux pélerins, un mur en Tadlakt beige, donnent à ce lieu de prière une aura particulière.
La masse de monde s’agglutine aux portes pour assister à la prière du soir, mais aussi à la vente de bougies, qui permettra au comité du saint de toujours améliorer l’entretien des lieux et annexes et ainsi assurer la longévité du site qui le reste de l’année est pratiquement vide. Un orchestre a été installé dans un coin de la synagogue, afin de mener l’ambiance pour la célébration de la Hiloula, il sera mené par le célèbre « Petit Charlie », qui entonnera toutes les chansons traditionnelles, entre chaque vente de bougie. A chaque bougie vendue, le Chaliyah bénira chaque membre de la famille de l’acheteur, et sera suivi d’une chanson du chef d’orchestre toutes dédiées au saint Tsadik, sous les youyous des femmes également nombreuses et habillées de leur plus beaux vêtements et bijoux, présentes à l’arrière de la synagogue, espace réservée pour ces dames.
La famille des hôtes, les Cohen Azogh, est évidemment présente et préside la cérémonie, le maître de cérémonie, « le Pakid », Mr Knafo Haim , dédie chaque bougie au nom d’un tsadik connu et anime les enchères et l’assistance à qui offrira le plus, tout cela, dans une ambiance bon enfant, d’humour, de finesse, de tact et de rigueur, conférant à cette soirée, un cachet particulier, semblable à toutes les hilouloths.
Il sera aidé en arrière par tout le comité, qui veille, chacun sa tache, à noter le nom des acheteurs, leur acheminer les bougies achetées, mais également à veiller au bon ordre de la soirée, en contrôlant les portes et faisant circuler les curieux agglutinés aux passages principaux de la synagogue, acheminer le petit de mahia ou whisky, verre remis à chaque acheteur pour sa bonne santé et ainsi trinquer avec l’assistance, placer les derniers arrivés à bonne place, etc. Je tiens à souligner le travail bénévole de ce comité qui ne s’en tient pas uniquement à la période de la hiloula, mais chacun de par ses affinités, travaille à l’organisation, le bon ordre, la communication de l’événement annuel, qu’est la Hiloula, en se rendant plusieurs fois par année de Casablanca, Paris à Taroudant pour l’entretien du site et le contact avec l’administration locale, l’entretien du cimetière de Taroudant et des tombeaux de la famille Cohen Azogh à travers la région (Taroudant, Mentaga, etc.).
La soirée à la synagogue se finira sur le dernier achat, du droit, et non le moindre, celui qui permettra à l’heureux acheteur d’avoir l’honneur de pouvoir ouvrir le premier les portes du mausolée du saint et de se recueillir seul, un petit laps de temps, sur la tombe du tsadik. Une fois attribué, une procession se créée et accompagnera l’heureux élue de la synagogue jusqu’à la tombe, tout en chansons et en danses, sur les quelques mètres les séparant.
La deuxième étape débute, celle du pèlerinage et de la fête sur la tombe du Tsadik. Toute l’assistance se retrouve au milieu du cimetière, place du mausolée, sous la lumière blanche des néons qui l’illuminent. Cette lumière éclaire le visage de chacun, l’un souriant, l’autre emporté dans les prières adressées au Tsadik afin de l’assister dans ses prières au tout-puissant, pour l’accomplissement de ses souhaits. Jeunes et vieux sont tous emportés dans cette ferveur de prières et de solennité, particulière à ce moment clé de la soirée. On attend que le premier pèlerin privilégié, jouisse de sa primeur, il ouvrira les portes au grand public ensuite, provoquant une cohue indescriptible, un vrai bain de foule où chacun veut avoir la chance d’embrasser la tombe. Le temps que la fièvre des premiers moments passe et une circulation trouve son chemin, les secondes vagues peuvent accéder au tombeau. Pendant 2 ou 3 heures une marée montante et descendante se créera aux abords du mausolée pour laisser passer plus d’un millier de personnes présentes ce soir là.
La soirée continue avec le retour aux chambres pour passer au dîner, mais avant il est coutume de passer danser et festoyer dans la grande salle à manger des Cohen, qui offrent un apéritif copieux en l’honneur du Tsadik, tout le monde y est invité, le petit Charly et son orchestre se sont déplacés et animent la soirée qui se termine en danses hommes et femmes séparés.
Mais la fête ne fait que commencer, de parts et d’autres les chambres se remplissent et une promenade similaire à celle de la Mimouna débute, chacun va visiter le voisin, afin d’arroser et faire honneur aux bons petits plats du voisin, du cousin, du beau-frère, les étrangers de passage et n’ayant rien pu préparer sont conviés également. Tout est joie et fête, les chambres résonnent de chants de piyutim et de rires.
De retour auprès du tombeau, une permanence s’est installée, les bénédictions pour les absents sont données aux pélerins par un rabbin qui offre des bougies aux pélerins donateurs les groupes d’amis, les familles se réunissent et chantent en l’honneur du Tsadik, les bouteilles d’alcool et victuailles se passent de mains en mains , les flammes de la cheminée sortent de tous les orifices possibles offrant un spectacle impressionnant, les flashs éclairent le mausolée entier, chacun veut amener un souvenir et filmer une part de cette ambiance aux absents du jours. La fête se terminera aux petites heures du matin. Les plus jeunes retrouvent la liberté de rester le plus tard possible et tout un groupe se retrouve un peu partout à travers le site, se commémorant les souvenirs de classe, et en racontant leur nouvelle vie d’étudiant, de mariage, etc.
La nuit se finira de retour dans sa chambre aux sons de piyutims qui nous viennent encore du mausolée et qui nous berceront, jusqu’au sommeil tant mérité et attendu.
Le lendemain, aux petites heures du matin, la prière du matin réunit tout le monde dans la synagogue, plusieurs minyanim se succèderont, pour ceux qui ont un peu plus veillé et fêté. Certains font la file pour récupérer leur assiette de Shfenj, les retardataires à la synagogue trouveront toujour’s d’autres personnes attendant le dernier pour former le minyan (minimum de 10 personnes pour faire la prière). L’effervescence renaît, mais cette fois déjà le départ se prépare et s’annonce. D’autres sont déjà à courir pour mobiliser le personnel du lieu saint pour l’aider à déménager vers sa voiture le nécessaire du retour à la maison, les voitures et camions de transports de marchandises et de passagers se pressent à nouveau dans la petite place centrale du saint pour recevoir, bagages, couvertures, vaisselles, tout la logistique du séjour se remballe.
Cependant, tout ce beau monde attendra le dernier événement, devenu une tradition, tout le monde se mobilise et dégage l’allée centrale. Qu’il y ait une longue route à venir, que l’on soit pressé d’éviter la nuit pour la route du retour, que l’on soit un peu court dans le timing d’embarquement de son avion à l’aéroport le plus proche, Agadir. Tout le monde se mobilisera à attendre les autorités de la région, avec à leur tête, Mr Le Wali de la région de Taroudant, qui font leur visite annuelle au saint Rabbi David Ben Barroukh Cohen Azogh (ztl).
Cette visite est une tradition et un rite de nouer les liens ancestraux, depuis toujours ancrés dans le cœur des Juifs Marocains à Sa Majesté le Roi du Maroc, SM Mohamed VI et toute la famille Royale, à notre pays le Maroc, ainsi qu’à l’ensemble des représentants de l’autorité de la région qui ont toujours facilités et aidés l’événement annuel de la hiloula.
Mr Le Wali de la Région de Taroudant, Mr David COHEN Azogh, Mr Lilo ATTIAS, Mr ABEHSERRA, Mr Albert DAHAN et Mr Haim KNAFO.
Le comité dans son plus bel apparat traditionnel, en djellaba blanche de rigueur, se presse au devant de la porte principale du Saint pour accueillir à la tête du cortège venant de Taroudant, Mr Le Wali de la région de Taroudant et toutes les autorités au complet. Se connaissant pour entretenir des relations étroites, tout le monde se salue, s’embrasse, se congratulent. Les visiteurs sont immédiatement amenés sous les youyous des femmes présentes et accompagnés de la population entière du saint à la synagogue pour les bénédictions à l’encontre de sa Majesté Mohamed VI et l’ensemble de la famille Royale, ainsi qu’une série de prières implorant le Tout-puissant pour le repos des âmes de Feu SM le Roi Mohammed V et de l'unificateur du pays et l'édificateur du Maroc moderne Feu SM le Roi Hassan II.
Le cortège sera ensuite amené devant le tombeau du Saint Rabbi David Ben Barroukh Cohen Azogh (ztl), accompagné de la même foule de pélerins, pour un pèlerinage et recueillement général. Mr Le wali de la région de Taroudant sera ensuite l’hôte de la famille Cohen dans leur salle de réception, où un buffet de gâteaux et toutes sortes de victuaillesseront servis aux hôtes.
Le retour se fera dans le même ordre et engouement de la part de l’assistance qui se presse autour des invités et tiennent chacun à saluer et serrer la main de Mr le Wali, les gouverneurs de région, le chef de gendarmerie. Ces derniers seront accompagnés à leur voiture sous les applaudissements et youyous.
Voilà, pour les plus pressés, le départ est donné, le retour vers la maison est venu, les bagages attendent, certains resterons à Agadir, d’autres repartent d’un trait vers Casablanca. Les plus éloignés rejoindront l’aéroport d’Agadir pour prendre leur avion et repartiront aux quatre coins du monde, avec déjà, une nostalgie et une pensée pour ces 3 jours de fête et de réunion mémorables. Aussi dans toutes les têtes existe déjà la pensée du retour pour l’année suivante.
En effet la hiloula est certes une commémoration et un hommage au Tsadik, mais quelque part, il est également une réunion sociale, un événement qui permet à toutes les familles, amis, de se réunir pour une occasion que personne ne veut rater ni manquer et où chacun, quelque soit son activité forcera et bousculera son emploi du temps pour être présent. Il est des fêtes officielles du calendrier juif, comme la Pâques Juive, les fêtes de Souccoth, le Yom kippour, où toutes les familles se réunissent, se retrouvent, la Hiloula, aujourd’hui, de plus en plus rentre dans ce cadre. L’on vient des pays les plus loins pour y assister.
Nous avons choisi de vous faire le récit de la Hilloula de rabbi David Ben Barroukh Cohen Azogh (ztl), car il s’agit d’une des Hiloula, parmi la plus vue et la plus fréquentée du Maroc et parce qu’il y afflue à chaque année plus de 1000 personnes et avec le temps la fréquentation grandit de plus en plus. Les Hilouloths sont une part indiscutable et indivisible du patrimoine juif marocain, un attachement à ses rabbins saints qui ont grandi ou qui ont fini leur vie au Maroc et qui aujourd’hui pour certains font partie d’un respect commun, autant aux juifs qu’aux musulmans qui ont grandi avec ce respect et la certitude des bienfaits de ces saints.
Georges SEBAT
LEXIQUE
Shfenj : Beignets à la marocaine, pris en certaines occasions, mais surtout pour agrémenter son verre de thé à la menthe.
Miniane(im) : Dans le judaïsme, le miniane est le quorum de dix hommes adultes nécessaire à la récitation des prières les plus importantes de tout office ou de toute cérémonie (circoncision, mariage, deuil... ) : tout garçon ayant fait sa Bar Mitzvah compte pour le miniane.
Piyut : Un piyyout (plur. Piyyoutim), en hébreu est un poème liturgique juif généralement destiné à être chanté ou récité pendant l'office. La plupart sont en hébreu ou en araméen. L'auteur d'un piyyout est appelé un paytan (pluriel paytanim).
Minhag : Un minhag (hébreu, ×ž× ×”×’, plur. minhaggim, ×ž× ×”×’×™×) est une coutume ou un ensemble de coutumes acceptés par une communauté dans le judaïsme; le terme est parfois également utilisé pour désigner un noussa'h (hébreu : × ×•×¡×—, rite), qui fait référence à l'ensemble des traditions liturgiques d'une communauté.
Mahia : Eau de vie, faite à base de figues séchées et autres fruits (cerises, dattes, etc…) spécialité marocaine.
Tehilim : En hébreu, Tehilim (תהילי×, « louanges ») désigne un psaume. Les Psaumes sont des chants et des louanges dédiés à l’Eternel.
Page Précédente: Les Hillouloths
Page suivante : Hilloula 2007 Illustrée Page 1